mercredi 10 octobre 2012

TEMOIGNAGE : dire que je suis homo au boulot, c’est risqué. Voilà pourquoi



C’est quelque chose que beaucoup d’hétéros ont du mal à comprendre, même lorsqu’ils sont parfaitement gay-friendly : ce besoin impérieux de faire savoir qu’on est homo au travail. Car il ne s’agit pas tant de le faire savoir, que de démentir être hétéro. Ils ont l’impression que la sexualité est du domaine du privé, qu’eux-mêmes n’y font pas allusion dans le cadre professionnel. C’est qu’ils font la confusion entre sexe et sexualité.
Il y a de cela quelques années, j’avais assisté à une conférence sur le coming out au travail, organisée par l’association Homoboulot. Sylvie Fondacci, présidente d’Homosphère (l’association LGBT de SFR), expliquait la virulence avec laquelle certains employés de SFR s’étaient attaqués via l’intranet à la création d’Homosphère, arguant que la sexualité appartenait au domaine de la vie privée.
En réalité, si vous réfléchissez à ce que vous savez de vos collègues hétéros, vous pouvez probablement citer sans difficulté le nom de leur conjoint(e), le nombre de leurs enfants et les dernières anecdotes sur leur vie de famille, ce qu’ils ont fait le week-end dernier et avec qui. Bref, un nombre inquantifiable de détails sur leur vie (dont leur orientation sexuelle fait partie intégrante), égrenés au cours de discussions informelles et pauses-café. Ce genre de discussions qui amènent un peu de chaleur et de convivialité au travail.

Imaginez vous faire passer pour gay

ETUDE
Selon une étude de L’Autre Cercleen 2010, les deux tiers des salariés LGBT cachent leur orientation sexuelle. Randstadt, DHL, Google, IBM, Philips… un palmarès des entreprises mondiales les plus gay-friendly a même été établi par la CCIGL.
Qu’est-ce qu’eux savent de nous, lorsque nous choisissons de taire notre orientation sexuelle ? Souvent pas grand-chose.
Nous ne demandons pas à pouvoir évoquer nos parties de jambes en l’air dans les moindres détails (encore que j’ai connu des collègues hétéros qui ne se faisaient pas prier pour). Nous demandons juste le droit d’arrêter de nous cacher derrière une identité factice sans que cela puisse nous porter préjudice.
Le meilleur argument à opposer à un hétéro qui ne comprendrait pas cela serait de lui proposer de s’imaginer devoir se faire passer pour gay au travail, huit à douze heures par jour, cinq jours sur sept, pendant plus de 40 ans. Il comprendrait l’énergie engloutie par ce travail d’acteur qui s’ajoute au travail quotidien. Car même en choisissant de régler le problème en ne laissant rien filtrer sur sa vie, on s’épuise.

Peur d’être mis à l’écart, de passer à côté de promotions

On ne peut pas s’intégrer aussi facilement qu’un hétéro, on ne peut pas passer pour aussi sympathique qu’on voudrait l’être si on se dérobe aux
autres, si on fuit les discussions privées, si on donne constamment
l’impression de dissimuler un secret.
Et puis il y a cette colère sourde lorsqu’on voudrait le dire mais qu’on n’ose pas parce qu’on sait que certains collègues sont homophobes, qu’on risquerait d’être mis à l’écart et de passer à côté de promotions.
Que ces peurs soient fondées ou pas, il n’en reste pas moins que la meilleure façon d’être bien au travail, c’est d’être soi-même. Ce qui sous-entend parvenir à démonter les préjugés, à surmonter les réactions négatives (ou potentiellement négatives) en choisissant de ne pas y prêter attention, et en faisant en sorte que la dimension « orientation sexuelle » de notre personnalité ne soit pas reléguée au premier plan.
Ça demande beaucoup d’efforts lorsqu’on n’est pas complètement à l’aise avec sa sexualité car, paradoxalement, si on annonce être homo mais que cette annonce est suivie par un repli sur soi (et cela peut facilement arriver puisque les réactions à notre égard changent systématiquement, du moins momentanément, une fois que les gens « savent »), notre sexualité sera la première (voire la seule) chose à laquelle nos collègues penseront lorsque notre nom sera évoqué.


Je remplaçais les « elle » par « il »

Dans un cadre professionnel, on cherche à être perçu comme la personne compétente plutôt que comme « la lesbienne ». Malheureusement, faites votre coming out et, si vous n’y prenez pas gare, aux yeux de vos collègues la personne que vous étiez auparavant sera vite engloutie par sa différence,
c’est-à-dire sa sexualité. Ils ne verront plus que cela. Certains reprochent aux homos de se définir comme tels, mais ils oublient que c’est aussi la manière dont eux nous définissent.
Moi qui suis une « lesbienne invisible », c’est-à-dire une lesbienne systématiquement étiquetée « hétéro » à défaut de correspondre aux stéréotypes de la lesbienne (pour une définition drôle et divertissante, se référer au one woman show d’Océanerosemarie), j’ai été à plusieurs reprises confrontée au problème du coming out au boulot, d’autant plus difficile que mes collègues ne s’imaginaient pas que j’étais lesbienne, allant pour certains jusqu’à mettre cela en doute une fois informés.
Malgré ma courte carrière (j’ai été diplômée en 2010), j’ai déjà plusieurs anecdotes qui prouvent à quel point il peut être difficile d’être homo « undercover » au boulot.
J’ai commencé ma carrière pendant mes études en tant qu’apprentie au siège d’un grand groupe de distribution. Je côtoyais beaucoup d’autres apprentis de mon âge et j’avais fait mon coming out auprès d’eux sans que ça ne pose le moindre problème. Avec eux, j’étais réellement moi-même.
C’est auprès de ma hiérarchie que je savais que je n’avais pas affaire à des gens particulièrement gay-friendly. Et notamment une chef de projet trop fermée sur le sujet pour que j’ose lui en toucher le moindre mot. J’étais en couple à l’époque et je remplaçais les « elle » par des « il ».

J’ai attendu plusieurs mois pour lui dire

J’étais sur le point de partir en voyage aux Etats-Unis en couple et en avais parlé avec la chef de projet. Quelques jours plus tard, alors que nous déjeunions avec la chef de projet et une autre apprentie, cette dernière évoque le voyage avec mon « amie ». La chef de projet répond qu’elle croyait que je partais avec mon copain.
Je ne sais plus comment j’ai réussi à me sortir de là, mais je me souviens que mes explications n’ont fait qu’ajouter à la confusion. Qu’est-ce qu’elle a pu penser de moi à ce moment-là ? Que j’étais une mythomane ? Que j’étais louche ? Je ne le saurai jamais mais la suite me prouvera qu’à aucun moment elle n’a envisagé que mon copain puisse être une fille.
La chef de projet est ensuite partie en congé maternité et a été remplacée par une femme avec laquelle je m’entendais beaucoup mieux. Malgré cela, j’ai attendu plusieurs mois avant de lui dire, au moment où elle évoquait mon copain, que c’était en fait une copine.
Au moment où elle l’a su, elle a cillé en signe d’incrédulité et elle cherchait quelque chose à me répondre sans trouver, mais par la suite, son comportement n’a en rien changé. Je crois même qu’elle était flattée que je lui fasse suffisamment confiance pour la mettre dans la confidence.

« Ce n’est pas un garçon »

J’ai ensuite poursuivi mes études et fait un stage de longue durée. Je m’entendais à merveille avec ma responsable. Nous avions le même humour, je me délectais de ses histoires, elle avait toujours quelque chose à raconter sur quoi je pouvais rebondir. Et malgré son ouverture d’esprit sur bien des sujets, je la savais réservée sur les questions relatives à l’homosexualité.
J’ai donc gardé le silence jusqu’à la fin de mon stage et alors que nous parlions d’émissions de décoration, je lui ai dit que mon ex passait son temps à en regarder. Elle m’a alors répondu que c’était peu courant pour un garçon. Ma réponse a été simple et brève : « Ce n’était pas un garçon. » J’ai enchaîné vite fait sur d’autres sujets et elle n’a pas relevé, elle a fixé son assiette et je l’ai sentie mal à l’aise. Je l’étais moi-même. Mais cette gêne s’est vite dissipée et nous ne sommes pas revenues sur le sujet.
Après mon stage, nous avons passé une soirée ensemble. Je m’apprêtais à aller passer un entretien en Irlande. Elle s’est exclamée : « Tu vas nous ramener un beau roux aux yeux verts ! » Je me suis demandé si elle n’avait pas tout simplement fait un déni par rapport à mon homosexualité.

Le dilemme de l’homo au boulot

Voilà le dilemme de l’homo au boulot : à moins d’avoir une capacité particulièrement développée à faire abstraction de ce que pensent les autres ou à moins de correspondre aux stéréotypes, lorsqu’il ou elle est nouveau(elle), il prend le temps de sonder son environnement pour vérifier qu’il n’est pas en milieu hostile, et il suffit d’une personne pour le faire renoncer à dévoiler qui il est vraiment.
Si toutefois il décide de se lancer, il aura beaucoup de mal à s’extraire du rôle d’hétéro ou d’asexué qu’il s’est assigné pendant des mois, avec les mensonges et les omissions que cela comporte. Si vous êtes capable de mentir sur qui vous êtes ou de taire la vérité, on vous imagine capable d’autres mensonges et dissimulations. Et au travail, cela peut particulièrement jouer en votre défaveur.
On voit émerger un certain nombre d’entreprises gay-friendly désireuses de mettre en place des mesures favorisant le bien-être des salariés homos. Celles-ci ont compris le gâchis que représente le potentiel de leurs salariés homos « bridés » à force d’autocensure, d’invisibilité, et donc de mal-être au travail. D’autant plus que ces salariés sont souvent sans enfant et donc plus disposés à sacrifier de leur temps pour l’entreprise.
TÉMOIGNAGE - Chimney08/10/2012 


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